mardi 30 mars 2010

LA RONDEHAYE

Dur, dur le métier de randonneur par les temps qui courent.
La météo, une fois de plus avait décidé de nous contrarier.
Ce mardi, qu’a cela ne tienne, nous étions tout de même trente sept à affronter les intempéries.
Trente sept, venus là, pour diverses raisons.
Les purs, les durs, que rien, ni personne ne peut arrêter, et ceux qui n’avaient peut-être pas trop le choix.
Parmi ces derniers j’en connais.

Corinne et Christian ne pouvaient se soustraire, la responsabilité de cette randonnée reposant sur leurs seules têtes.

Présent lui aussi, le Président, aurait sans doute préféré se terrer dans son château de Boisroger, mais en se comportant de la sorte, il craignait trop de mécontenter ses sujets.
En ces temps de fronde, il ne savait que trop que ce n’était pas le moment d’ignorer les vils, les manants, ces sans grades, toujours prêts à fomenter une révolution de palais.
Dépêché probablement par le Président le grand argentier était venu lui aussi, à l’affût, sans doute, d’une éventuelle rentrée d’argent, tant il est vrai que la « cassette » du royaume a toujours besoin de recettes venant l’alimenter.
Aussi, tel Harpagon, l’espoir d’encaisser une adhésion nouvelle ne pouvait que réjouir le Trésorier dont la vocation bien connue, est de compter et recompter sans cesse les écus et autres lingots, et d’aligner des colonnes de chiffres loin des regards, lorsque la nuit est venue.
Éloigné de ces contingences matérielles, qui pour lui ne sont que vétilles et mesquineries de mauvais aloi, le secrétaire à la Cour, pour ne pas déplaire au maître, avait lui aussi fait le déplacement.
La charge épistolaire qui lui était attribuée ne pouvait souffrir aucun manquement, et pour ne pas attiser le courroux légendaire du maître céans, il se trouvait donc dans l’impossibilité d’invoquer les conditions météorologiques pour justifier une quelconque absence.
D’ailleurs, ce jour là, en plus de son ministère, il lui avait été confié le soin exclusif de portraiturer sites et personnages, tout au long de cette escapade.
Le Sieur Christian, le compagnon d’infortune avec qui, il partageait habituellement cette tâche, était appelé à diriger et à mener à bon port tout l’équipage de joyeux drilles qui le suivaient pas à pas, secondé il est vrai par la pétillante princesse Corinne de Blainville.

Les chemins n’étaient pas tous secs, loin s’en fallut.
Aussi, des cris purent se faire entendre à l’occasion de passages difficiles.
Heureux furent ceux qui avaient chaussé des bottes.

Ils étaient rares.
Quelques brodequins eurent un contact non désiré avec la gadoue qui tapissait le sol en certains endroits.
Une dame faillit choir dans la fange, rattrapée de justesse par des bras bienveillants, qui lui évitèrent ainsi de connaître les pires outrages.
Elle put par la suite se laver dans un filet d’eau, comme l’atteste un portrait établi à cette occasion.

La dame Agnès, qui ne savait pas mesurer les dangers eut ses chaussures maculées plus qu’il n’eut fallu, mais pour elle c’était une habitude, des faits similaires ayant été remarqués à d’autres occasions.
Ces obstacles dressés ça et là, ne devaient en rien altérer la bonne humeur des participants, d’autant que la pluie des premiers instants avait laissé la place à quelques rayons de soleil.
Seules les bourrasques d’un vent de noroit venaient contrarier l’avancée des marcheurs. Ces derniers, encapuchonnés de tenues multicolores, têtes courbées affrontaient stoïquement les éléments

Même le Souverain, embarqué peut-être malgré lui dans cette aventure, regardait enfin ses vassaux avec une soudaine condescendance.
Effets du printemps, en certaines occasions, le sourire apparaissait sur son visage, ce qui pouvait être considéré comme un signe de faiblesse par certains intrigants .
Les courtisans, y voyaient les prémisses d’un heureux rapprochement avec leur caste et se prenaient à espérer une quelconque magnanimité à leur égard.

Quelqu'ait pu être l’esprit de chacun, et malgré les intempéries, le microcosme semblait heureux de partager ces moments communautaires.

Au détour d’un chemin, ou à l’orée d’une clairière, on pouvait apercevoir les dames Jocelyne, Evelyne, Jacqueline, Janine, Michelle, et les autres (qu’il serait trop long d’énumérer), s’extasiant à l’écoute du chant des oiseaux, ou devant un parterre de primevères.
La Vicomtesse Mireille De Coutances, savourait pleinement la tranquillité que lui procurait l’absence de son époux, le Comte Ange, qui lui,avait préféré s’adonner à sa passion en se rendant à une partie de pêche.
La Duchesse Marie-Jeanne De Lingreville, les Sieurs Marcel, Daniel, Jean-Claude n’étaient pas en reste, riant des bons mots de Monsieur Jacky, toujours prompt à raconter une histoire, ou a se prêter à une facétie, devant un auditoire acquis d’avance.
Dame Agnès, encore elle, pourtant assurée de subir une bronca en retour, n’hésitait pas, une fois de plus, à braver les interdits, en faisant une cueillette de ces fleurs qu’elle ne peut s’empêcher de vouloir toujours posséder, tant elle les chérit.

Et c’est ainsi que le groupe après avoir effectué les douze kilomètres de ce circuit, put retrouver, qui son carrosse, qui son fiacre, pour ensuite regagner pénates.
Tous, semblaient heureux d’avoir accompli cette randonnée, malgré le mauvais temps.

Le Monarque rayonnait littéralement, et il était permis de se demander quelle raison mystérieuse provoquait cet indicible bonheur qui le transfigurait.
Était-il possible, qu’il n’y ait d’autre cause que celle d’être tout simplement heureux d’avoir partagé un tel divertissement avec ses vassaux ?

Comment le savoir ?
Les puissants savent garder leurs secrets, derrière les murs épais de leurs propriétés.

André De Gouville

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