mardi 6 avril 2010

LINGREVILLE

Les semaines se suivaient mais ne se ressemblaient pas toujours, et fort heureusement ce mardi, contrairement à la semaine précédente, le soleil tant attendu, brillait de mille feux, illuminant les yeux, et réchauffant les cœurs, tout en faisant s’éveiller les plantes, et bourgeonner les arbres.

Daniel Ier, notre maître à tous, qui régnait sur nos destinées, avait décidé d’entraîner sa Cour sur les chemins et sentiers de Lingreville et ses environs.

Pour ce faire, il avait fait appel à la Comtesse Marie-Jeanne, une Lingremaise de vieille souche, ainsi qu’au baron Christian De Quettreville, vieil habitué des sorties royales, issu lui, d’une dynastie davantage habituée à arpenter les faubourgs de la capitale, que les chemins tortueux et escarpés de la campagne normande.
Depuis longtemps, le baron avait fait son choix, préférant l’exil, loin des fastes réservés à son rang.
Après les avoir tant endurées dans sa jeunesse, c’est sans regrets qu’il avait fui les exhalaisons putrides de la ville. Désormais, il pouvait respirer toute l’année les effluves enivrants que lui dispensaient les fleurs et arbustes que la baronne Evelyne cultivait amoureusement sur leurs terres à Quettreville.

Dès quatorze heures, un flot de véhicules avait fait irruption sur la petite place de l’église de Lingreville, qui n’en avait pas tant vu depuis bien des lustres.

Daniel Ier était déjà présent, pour accueillir ses sujets, hautes personnalités, princes, nobliaux et même manants, tous désireux de s’approcher au plus près du Maître.
Ils furent bientôt soixante quinze à occuper les lieux.
Il y avait là beaucoup d’habitués.
Délaissant ces sorties royales depuis un certain temps le Baron Yvon de Blainville, et la sémillante Baronne Anne-Marie opéraient une rentrée très remarquée.
De même la Princesse Josiane, avait quitté la région parisienne pour venir se joindre au cortège royal.
Le baron Gérard De Lingreville était venu en voisin.
On pouvait aussi remarquer Gilbert et Guy, tous deux Suzerains de Gratot, qui accompagnés de leurs épouses, avaient fait le déplacement pour honorer leur souverain.
Le Sieur Christian De Tourville, et son épouse Jeanine fendaient la foule pour s’approcher au plus près du monarque.
Les courtisans ne manquaient pas ces occasions pour venir écouter ce qu’ils croyaient être la divine parole.
Il en était ainsi du Sieur Jean-Pierre De Linverville, qui n’hésitait pas à jouer des coudes pour arriver à ses fins.
Plus discrets, le baron René De Montchaton, et son épouse la baronne Jocelyne se tenaient à une distance respectable.

Les Sieurs Antoine De Regnéville, Daniel De Gouville (dit le Grand), le Duc et la Duchesse Jacques et Jacqueline du duché De Hyenville, tous courtisans de longue date, n’auraient pas voulu manquer cet événement pour un empire.
Beaucoup de princesses, duchesses, et autres courtisanes se trouvaient là, elles aussi, Annick, Ginette, Simonne, Danielle, et tant d’autres qu’il serait fastidieux de les énumérer toutes.
La garde personnelle du Souverain se mettait en place.

Comme il était impossible à un roturier de parvenir au grade d'officier dans la maison du roi, ce dernier avait anobli le Sieur Ange en lui décernant le titre de Comte De Coutances. En raison de son dévouement pour la cause royale, il fut par la suite promu ministre de la police.
Il était secondé par le Sieur Jean-Claude De Montaigu les Bois.
Tous deux sanglés dans leur bel uniforme jaune, ils étaient chargés de veiller à la sécurité de tous, et principalement du Potentat.
L’événement marquant du jour fut les retrouvailles de trois sœurs sur leur terre natale.
En effet, la Comtesse Marie-Jeanne De Lingreville s’était entourée de ses aînées.
Il y avait là, Chantal, venue tout spécialement de Paris.
On voyait, et surtout on entendait, Agnès, devenue comtesse d’Agon, après un riche mariage princier qui l’avait amenée aux portes du pouvoir.
Le comte Claude son mari, ne goutait pas aux frivolités du royaume préférant se prélasser dans son château d’Agon, aussi la Comtesse Agnès s’ennuyant dans sa trop grande demeure se rendait fréquemment aux sorties initiées par le souverain.

Le départ fut donné, et tout ce beau monde suivit la Comtesse Marie-Jeanne De Lingreville et le Baron Christian de Quettreville.
Nul autre que la Comtesse Marie-Jeanne ne pouvait connaître aussi bien les sentiers et chemins de la cité.
Lingremaise depuis toujours, elle connaissait chaque recoin de ses propriétés, et était fière de faire découvrir son immense domaine, parcourant les kilomètres sans éprouver la moindre fatigue.
Il n’en fut pas de même pour sa sœur aînée. Pourtant Lingremaise de naissance, mais habituée aux salons parisiens depuis trop longtemps, la princesse Chantal ne pouvait suivre le rythme imposé par sa jeune sœur, et s'arrêta net au bout de quelque temps.

Fort heureusement le Roi, n’en vit rien, sinon il s’en serait montré fort courroucé, n’aimant pas qu’un de ses sujets fisse moins de trajet que lui-même.

Il est vrai que le monarque avait sans doute d’autres préoccupations.
Depuis quelque temps, en effet, la Cour bruissait de mille rumeurs, toutes plus invérifiables les unes que les autres.
Le Roi, depuis longtemps était seul, et tout le monde au palais souhaitait qu’il trouvât enfin une Reine.
De plus le problème de la succession se posait, car le Roi n’avait pas de Dauphin.
Le moment était-il venu ?

Les courtisans s’agitaient, et les conversations allaient bon train dans les salons.
Certes, le Palais s’était fendu d’un démenti et une enquête avait même été diligentée pour connaître celui ou celle qui était à l’origine de cette rumeur, si cela en était une.

Rien n’y faisait. La rumeur se faisait de plus en plus persistante.
Il est vrai que tout le monde avait remarqué un changement dans le comportement du Souverain.

Ce dernier, d’habitude si sourcilleux, et quelque peu renfrogné, présentait depuis peu un visage de plus en plus guilleret.
La rumeur, toujours elle, lui attribuait telle ou telle intrigante prête à tout pour accéder au trône.
Cependant, ce mardi, on le vit parfois marcher aux côtés d’une Princesse, sur laquelle son regard s’appesantissait plus longuement que sur toute autre.
Issue de la haute aristocratie, dans la lignée des Bourbons, jolie, et réservée, elle semblait être la personne idéale pour ce Roi en souffrance de confidente.
Le peuple se prenait à espérer.
Et si c’était Elle ?
Les marcheurs ce jour là ne pensèrent plus qu’à cela.
La Princesse M. De la Sienne, c'est d'elle qu'il s'agissait, pourrait-elle ouvrir son cœur au Souverain qui en avait tant besoin ?
Aurait-on bientôt une Reine à la Cour ?
Autant de questions qui se posaient tout au long du parcours.

La petite troupe parcourut les quinze kilomètres de cette randonnée avec bonne humeur, aiguillonnés par l’espoir d’une bonne nouvelle prochaine.
Au terme de cette course, la Comtesse Marie-Jeanne retrouva ses deux sœurs, mais l’une d’elles, la Comtesse Agnès d’Agon, était fort excitée, à l’idée de savoir que le Roi avait peut-être rencontré l’âme sœur.
La Comtesse Agnès qui habituellement cueillait toutes les fleurs qu’elle trouvait sur son passage, en avait oublié d’accomplir ce rituel, tant elle était préoccupée par la rumeur qui enflait.
Elle fut à nouveau en transes lorsqu’elle vit le Roi inviter la belle Princesse à prendre place dans son carrosse, que tous les participants virent partir avec émotion.

Les yeux mouillés, les courtisans étaient prêts à entonner « Vive le Roi », « Vive la Reine », mais ils se ravisèrent tout aussitôt, ne voulant pas brusquer le Destin.

Néanmoins, tous pensèrent que cette sortie royale n’était pas comme les autres.
Ce jour là, il s’était vraiment passé quelque chose sur les terres de la Comtesse Marie-Jeanne de Lingreville.

André De Gouville

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